mardi 21 décembre 2021

Ma sorcière bien aimée

 

 


 

                                        


Si l'on y réfléchit bien, combien de ces femmes condamnées au bûcher pour sorcellerie méritaient vraiment une quelconque condamnation ?
Voilà la question qui m'interroge à  la lecture d'une anecdote racontée par notre amie Célestine.....

Ma réaction peut paraître étonnante, voire détonnante..... Alors, pour que vous  compreniez,  il sera utile que je vous raconte ma sorcière bien aimée ...

Anne Marie Sch.......  elle s'appelait.
A la place de mon frère aîné occupé à des vacances de révision, je fus envoyé dans ce foyer allemand, habitant une maison récente mais cossue de Waldorf ( quinzaine de kilomètres d'Heidelberg).  Dans ce foyer de 4 personnes seul le père, Karlheinz parlait un peu notre langue. 
Du côté de mes hôtes, la motivation à recevoir un petit français de 12 ans reposait au moins sur la volonté de Karlheinz d'approfondir ses connaissances de notre langue pour améliorer ses performances commerciales .

Au détour d'un couloir du lycée d'Heidelberg mes parents s'éloignerent discrètement en compagnie du proviseur, me laissant entre les mains d'Anne Marie.

Pour être honnête, Anne Marie , Karlheinz, Rolf Dieter ,ni Harrald , ne me furent  hostiles.... bien au contraire.
La deuxième semaine,  pendant les absences de Rolf Dieter, il me fut même permis de bricoler avec ses éléments de montages électroniques .
Par ailleurs Karlheinz m'offrit en fin de séjour un petit magnétophone à bande.
Non, si j'eus à me plaindre de quelque chose ce fut plutôt de la manière dont mes parents m'expédierent brusquement sans prévenir dans cette famille étrangère.  

Alors en quoi Anne Marie méritait que je la traite de sorcière ?
Non ce ne fut pas à cause des repas frugaux qu'elle nous préparait pour notre retour du lycée vers 13h30 :  salades diverses et plat  de groseilles en guise de dessert.
Pas plus les gâteaux savoureux qu'Anne Marie s'ingéniait à confectionner...
Je me rappelle de ce jour où elle me montra désolée une de ses oeuvres qui avait légèrement débordé hors du plat dans son four....

Non , Anne Marie par contre me choqua cependant un matin en me conviant dans son domaine, sa belle cuisine, et en me posant à  brûle-pourpoint cette étonnante question :
"Pierre, weisst du wie die Spinne Isst die Fliege" ? ( Pierre sais tu comment s'y prend l'araignée pour manger une mouche ?).

En fait Anne Marie avait déjà tout préparé et avait posé sur son plan de travail un gros bocal (de ceux utilisés habituellement pour faire des conserves de fruits) . Au sein du bocal elle avait inséré une mouche  et une de ces grosses araignées qui devaient régulièrement se déplacer dans les sous sol de la maison.

Je suis resté éberlué de l'initiative de la maîtresse de maison, mais je m'abstins de suivre la suite du repas de l'araignée..... Anne Marie ne s'en offusqua en aucune façon.

En résumé j'ai vécu dans la peine à Waldorf durant les premières 24 heures de mon arrivée. Mais j'ai bien profité en fait de ce séjour linguistique . La veille de mon départ j'eus ma mère au téléphone, et, à sa première demande ("Tout va bien ?) je répondis joyeusement "JA MUTTER !"

Que par la suite mes parents au contact des SCH.... trouvèrent cette famille un peu particulière, je n'en disconviens pas.                                                       Cependant, il y eut un reproche que ma mère proféra à mon encontre deux ans plus tard, après que mon frère aîné à son tour eut effectué un séjour à Waldorf :

"Comment Pierre as-tu pu nous dissimuler ce que tu avais vécu chez les SCH... ? Si tu nous avais dit, nous n'aurions pas envoyé ton frère dans cette famille"!

Plus d'une dizaine d'années après, par curiosité, j'ai interrogé mon frère  sur son séjour ; et c'est là le plus fort : "Ils étaient très bien les SCH..." fut sa seule réponse .

Voilà pourquoi je voulais ici rendre hommage à cette famille qui m'a accueilli et tout particulièrement à Anne Marie, ma sorcière bien aimée.


Moralité : Ma mère ne fut pas non plus une sorcière, et jusqu'à son dernier souffle elle fit l'admiration de celles et ceux qui de l'extérieur la cotoyaient  occasionnellement (et même de façon répétitive) pour son amabilité et sa capacité d'accueil avec le sourire malgré les difficultés et les souffrances éprouvées.

Cependant la vie ne lui a jamais appris qu'un enfant n'est pas avant tout la chair de sa chair, ni qu'aucun de ses trois fils méritait qu'elle les confondit avec sa propre personne au point de vouloir résoudre ses problèmes existentiels à travers eux. Chaque être est unique et a droit au respect de sa personne dans sa singularité et son chemin de vie.